C’est avec vérité, justice et paix que vous jugerez à vos portes. « Michna Avoth ».
Ce ne fut pas long, je n’étais plus un être debout mais un corps à genoux. L’image principale qui me revient du moment où la police a souhaité me briser, c’est le moment de chute sur mes genoux, je ne suis pas tombé à terre mais j’ai été mis à genoux.
C’est l’oeuvre de la violence policière, en plus de briser physiquement un individu, os par os, car ces armes policières dites non/sub létales ne transpercent pas, elles explosent et laissent du vide, elles aiment à faire mourir l’existence propre. Le lendemain au réveil douloureux de votre corps en friche, vous serez autre, une victime ou un mort-vivant, celui à qui l’on avait décidé son sort et qui l’a évité.
Nous avons été désignéEs comme tuable, éliminable, comme d’autres personnes marginales ou opposantEs de l’histoire, des individuEs qui ne représentaient plus une valeur humaine. Nous découvrons alors que l’exclusion n’est pas qu’une mise à l’écart mais une négation de l’autre, ce n’est pas une volonté de vouloir le faire disparaître car il faudrait déjà exister pour cela, mais c’est une néantisation de l’altérité, soit une destruction de l’autre.
Chaque résistance vient dire j’existe et c’est bien cette existence que la police attaque, je n’étais pas forcément assigné comme tuable, j’avais des papiers, une existence autorisée pour cette société. Ma désignation comme tuable a été une association avec ce qu’ils considèrent comme l’inexistant. Leur intégration sociale est d’une logique primaire, tu t’intègres ou l’on te désintègre.
Ma rencontre avec la violence policière n’est pas née d’hier, pourtant celle dont je vous parle est différente. Sa différence, être celle où l’on vous annonce cette phrase terrible : à quelques centimètres près, vous étiez mort. J’étais mort.
C’était pourtant une belle journée d’avril, où l’on profitait du soleil, gratuitement, journée entre amiEs. Un jour férié, un jour solennel, un jour que l’on aime vivre. Un jour où l’état avait décidé une nouvelle fois de refuser à ses inexistants (celles et ceux à qui il veut nier l’existence) l’accès autonome à leur vie. Un jour où une maison vide, une maison sans vie, acquise par quelqu’un qui en devient un propriétaire qui jouit d’un droit de propriété. Un en plus, qui ne sert à rien qu’à être à soi, que posséder quelque chose de plus.
Lui a des « à soi » de surcroit, alors qu’on va retirer des « chez elles, eux » à quelques personnes. Une injustice évidente qui pourtant est très légale. Alors faire très peu, aller apporter une petite aide, c’était l’objectif.
Je suis passé par l’objectif policier et suis devenu une cible, les raisons qui font qu’un être surfait de violence choisisse une cible, il l’expliquera peut-être un jour à ce qu’ils nomment tribunal des hommes … mais j’en doute, devant le tribunal de Dieu ; j’aimerai y croire. Ils étaient, ces hommes de la BAC, nourris par le désir de violence, une sorte d’excitation, celle du combat. Cette drôle d’excitation apportée par le corps à corps, et apportée par la domination, par la contrainte non consentie de l’autre. Une attaque du corps comme représentant de l’être. Cette volonté d’aller éradiquer du nuisible.
La tension était un peu tombée, ils avaient joui d’avoir frappé, enfermé, d’avoir capturé, nous autres petits êtres existants.
J’étais réfugié, j’étais un animal terré, celui qui pense qu’en dehors de la vue de son ennemi il pourra avoir la vie sauve. Lorsqu’ils m’ont vu, ils n’ont pas juste fait usage de violence, ils ont joué avec la proie. L’un a décidé de me sortir et l’autre de tirer, l’on sort l’animal de son terrier et lorsqu’il voit la lumière du jour, ils l’abattent.
J’étais abattu, à genoux, puis il y a l’urgence, l’hôpital, le sang, tout le monde se presse, l’urgentiste, rassurez-vous ; vous avez la chance d’être encore en vie.
Au mieux ils diront, c’est une bavure, pourtant le trait était net, le tir précis, sans ambages, la proie est sortie, elle a été visée et abattue. Une belle prise de chasse. Je n’étais pas l’exception de la violence policière mais sa méthode, l’exemple de ce qu’est la BAC, une section terroriste qui a pour but de terroriser certaines populations.
On entend ensuite les commentaires, le problème serait la violence et il faudrait éviter de reproduire ce système. La violence n’est pas un problème, la violence n’est pas un mal en soi, ce sont des expériences de la vie. Violence de l’amour, violence créatrice, ce sont aussi des formes d’existence.
Les forces armées et policières sont présentes pour briser nos existences, à chaque policier que l’on fait tomber nous élevons notre existence singulière. Plus ils tomberont et plus ils apprendront que ce qui résiste est ce qui existe.
Si nous voulons demain rester en vie et continuer à partager des expériences communes, nous devons agir avant qu’ils nous démolissent. Lorsque je vois un policier à terre, je ne suis pas satisfait uniquement pour moi, je le suis car je sais qu’unE camarade reste en vie.
Si la révolution n’est pas pour l’an prochain, nous pouvons en commun gagner des existences dans des vies moins soumises à la domination policière. Nous devons agir dès à présent pour sauver nos futurs.
Je n’existe pas comme victime de la police, j’existe comme ennemi de l’état et j’existe encore
Ce texte est une création autour d’un vécu personnel, il n’incite à rien mais invite à la responsabilité.
Nous avons une pensée solidaire pour les blessés, mutilés par la police :
Geoffrey, Casti, Davy, Ayoub, Sékou, Fatouma, Joan, Pierre, Quentin, Damien, Emmanuel, Joachim, Jiade, Mohamed, Clément, Amine … Liste trop longues, nos pensées à toutes et tous les oubliéEs.
Ni oubli, ni pardon pour les assassinés:
Timothée Lake, Abou Bakari Tandia, Amine Bentounsi, Zied et Bouna, Lamine Dieng, Wissam El Yamni, Ali Aziri, Mostefa Ziani, Nabil Mabtoul … et toutes et tous les autres.